Mai 2016 - MEDITATION et Liberté Bouddhisme et Spiritualité

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Mai 2016

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LA LIBERTE, MAIS LAQUELLE ?
Aucun tourment des refoulements, aucune brutale discipline des conformismes n'ont conduit à la vérité. Pour la rencontrer on doit avoir l'esprit complètement libre, sans l'ombre d'une déviation.
La liberté
Mais demandons-nous d'abord si nous voulons réellement être libres. Lorsque nous en parlons, pensons-nous à une liberté totale ou à nous débarrasser d'une gêne ou d'un ennui ? Nous aimerions ne plus avoir de pénibles souvenirs de nos malheurs et ne conserver que ceux de nos jours heureux, des idéologies, des formules, des contacts qui nous ont le plus agréablement satisfaits. Mais rejeter les uns et retenir les autres est impossible, car, ainsi que nous l'avons vu, la douleur est inséparable du plaisir.
Il appartient donc à chacun de nous de savoir s'il veut être absolument libre. Si nous le voulons, nous devons commencer par comprendre la nature et la structure de la liberté.
Est-ce de "quelque chose" que nous voulons nous libérer ? De la douleur ? De l'angoisse ? Cela ne serait pas vouloir la liberté, qui est un état d'esprit tout différent. Supposons que vous vous libériez de la jalousie. Avez-vous atteint la liberté ou n'avez-vous fait que réagir, ce qui n'a en rien modifié votre état ?
On peut très aisément s'affranchir d'un dogme en l'analysant, en le rejetant, mais le mobile de cette délivrance provient toujours d'une réaction particulière due, par exemple, au fait que ce dogme n'est plus à la mode ou qu'il ne convient plus. On peut se libérer du nationalisme parce que l'on croit à l'internationalisme ou parce que l'on pense que ce dogme stupide, avec ses drapeaux et ses valeurs de rebut, ne correspond pas aux nécessités économiques. S'en débarrasser devient facile. On peut aussi réagir contre tel chef spirituel ou politique qui aurait promis la liberté moyennant une discipline ou une révolte. Mais de telles conclusions logiques, de tels raisonnements ont-ils un rapport quelconque avec la liberté ?
Si l'on se déclare libéré de "quelque chose" cela n'est qu'une réaction qui engendrera une nouvelle réaction, laquelle donnera lieu à un autre conformisme, à une nouvelle forme de domination. De cette façon, on déclenche des réactions en chaîne et l'on imagine que chacune d'elles est une libération. Mais il ne s'agit là que d'une continuité modifiée du passé, à laquelle l'esprit s'accroche.
La révolte
La jeunesse, aujourd'hui, comme toutes les jeunesses, est en révolte contre la société, et c'est une bonne chose en soi. Mais la révolte n'est pas la liberté parce qu'elle n'est qu'une réaction qui engendre ses propres valeurs, lesquelles, à leur tour, enchaînent. On les imagine neuves, mais elles ne le sont pas : ce monde nouveau n'est autre que l'ancien, dans un moule différent. Toute révolte sociale ou politique fera inévitablement retour à la bonne vieille mentalité bourgeoise.
La liberté ne survient que lorsque l'action est celle d'une vision claire ; elle n'est jamais déclenchée par une révolte. Voir clairement c'est agir, et cette action est aussi instantanée que lorsqu'on fait face à un danger. Il n'y a, alors, aucune élaboration cérébrale, aucune controverse, aucune hésitation ; c'est le danger lui-même qui provoque l'acte. Ainsi, voir c'est à la fois agir et être libre.
La liberté est un état d'esprit, non le fait d'être affranchi de "quelque chose" ; c'est un sens de liberté ; c'est la liberté de douter, de remettre tout en question ; c'est une liberté si intense, active, vigoureuse, qu'elle rejette toute forme de sujétion, d'esclavage, de conformisme, d'acceptation. C'est un état où l'on est absolument seul, mais peut-il se produire lorsqu'on a été formé par une culture de façon à être toujours tributaire, aussi bien d'un milieu que de ses propres tendances ? Peut-on, étant ainsi constitué, trouver cette liberté qui est solitude totale, en laquelle n'ont de place ni chefs spirituels, ni traditions, ni autorités ?
La solitude
Cette solitude est un état d'esprit qui ne dépend d'aucun stimulant, d'aucune connaissance. Elle n'est pas, non plus, le résultat de l'expérience et des conclusions que l'on en peut tirer. La plupart d'entre nous ne sont jamais seuls, intérieurement. Il y a une différence entre l'isolement, la réclusion, et l'état de celui qui se sait seul. Nous savons tous en quoi consiste l'isolement : on construit des murs autour de soi afin de n'être atteint par rien, de n'être pas vulnérable ; ou on cultive le détachement, qui est une autre forme d'agonie ; ou on vit dans la tour d'ivoire onirique de quelque idéologie. Se savoir seul, c'est tout autre choses.
On n'est jamais seul tant qu'on est rempli des souvenirs, des conditionnements, des soliloques du passé : les déchets accumulés du passé encombrent les esprits. Pour être seul on doit mourir au passé. Lorsqu'on est seul, totalement seul, on n'appartient ni à une famille, ni à une nation, ni à une culture, ni à tel continent : on se sent un étranger. L'homme qui, de la sorte, est complètement seul, est innocent et c'est cette innocence qui le délivre de la douleur.
L'innocence
Nous traînons avec nous le fardeau de ce que des milliers de personnes ont dit, et la mémoire de toutes nos infortunes. Abandonner définitivement tout cela, c'est être seul et non seulement innocent, mais jeune aussi - non en nombre d'années, mais innocent, jeune, vivant à tout âge - et l'on peut alors pénétrer la vérité ; pénétrer ce qui n'est pas mesurable en paroles. En cette solitude, on commence à comprendre la nécessité de vivre avec soi-même tel que l'on est, et non tel qu'on devrait être ou tel que l'on a été. Voyez si vous pouvez vous voir sans émotion, ni fausse modestie, ni crainte, ni justifications ou condamnations, si vous pouvez vivre avec vous-mêmes tels que vraiment, vous êtes.
Vivre avec soi-même tel que l'on est
On ne comprend une chose qu'en vivant intimement avec elle. Mais dès qu'on s'y habitue - dès qu'on s'habitue, par exemple, à l'angoisse ou à la jalousie - on ne vit plus avec elle. Si l'on vit près d'un torrent, au bout de quelques jours on ne l'entend plus ; un tableau dans votre chambre, après quelque temps, disparaît à votre regard. Il en est de même des montagnes, des vallées, des arbres ; il en est de même de votre famille, de votre mari, de votre femme. Mais pour vivre avec la jalousie, l'envie, l'inquiétude, il ne faut jamais s'y habituer, jamais les accepter. Il faut en prendre soin tout comme on soigne un arbre nouvellement planté, l'abritant du soleil et des orages ; en prendre soin sans condamnation ni justification. Alors on commence à l'aimer. En prendre soin, c'est l'aimer. Ce n'est pas que l'on aime être envieux ou anxieux, ainsi que cela arrive à tant de personnes, mais plutôt que l'on éprouve un penchant naturel à observer.
Pouvez-vous donc - pouvons-nous, vous et moi - vivre avec ce que nous sommes réellement, nous sachant ternes, envieux, craintifs, incapables d'affection alors que nous nous croyons pleins d'amour, vite blessés dans notre amour-propre, facilement flattés, blasés... pouvons-nous vivre avec tout cela, sans l'accepter ni le nier, mais en un état d'observation qui ne serait ni morbide, ni déprimé, ni exalté ?
Posons-nous une autre question : pourrions-nous atteindre cette liberté, cette solitude, ce contact avec la structure entière de ce que nous sommes, en y mettant du temps ? En d'autres termes : la liberté peut-elle être conquise par un processus graduel ? Evidemment pas, car la durée, aussitôt qu'on l'introduit, nous rend de plus en plus esclaves. On ne peut pas devenir libre graduellement. Cela n'est pas une affaire de temps.
Et maintenant posons-nous la question qui résulte des précédentes : peut-on devenir conscient de cette liberté ?
Si vous dites : "je suis libre", c'est que vous ne l'êtes pas, de même que l'homme qui se dit heureux ne l'est pas, car s'il le dit, c'est qu'il revit la mémoire d'un certain passé. La liberté ne peut se produire que d'une façon naturelle, non en la souhaitant, en la voulant, en aspirant à elle. Elle ne se laisse pas atteindre, non plus, à travers l'image que l'on s'en fait. Pour la rencontrer, on doit apprendre à considérer la vie - qui est un vaste mouvement - sans la servitude du temps, car la liberté demeure au-delà du champ de la conscience.
D'après un enseignement en 1968 de Jiddu KRISHNAMURTI
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